Methode manuel d'irrigation par des femmes

Développement de la petite irrigation au Niger – Dynamismes et contraintes

Bien qu’il dispose d’importantes potentialités en termes de terres agricoles irrigables, le Niger n’échappe pas non plus aux crises alimentaires qui touchent chaque année des millions de ménages. Cela est dû à plusieurs facteurs, notamment la rudesse du climat, la croissance démographique, le faible niveau technique des producteurs, l’instabilité politique et institutionnelle (fusion, séparation, suppression, réaménagement), etc. L’une des solutions pour relever ces défis est d’asseoir une bonne politique de promotion des cultures irriguées en appuis aux cultures pluviales. En élaborant la Stratégie de la Petite Irrigation au Niger (SPIN), l’État entend redessiner un équilibre et façonner une agriculture productive et créatrice de richesse pour l’atteinte des objectifs de l’Initiative 3N et à l’objectif global « Faim Zéro » d’ici 2035. Quatre ans après son adoption, quelles ont été les avancées et les défis rencontrés dans la mise en œuvre de la SPIN ?

Qu’est-ce que la petite irrigation

On entend par petite irrigation « Toute exploitation hydro-agricole autonome de taille maîtrisée, individuelle ou collective, économiquement viable et écologiquement durable, aménagée avec des technologies adaptées au savoir-faire local.

Un immense potentiel en terres irrigables

Le Niger dispose d’importantes ressources en eau comprenant le fleuve Niger, lac Tchad, plus de 1000 mares, la Komadougou Yobé, les Korama, les Goulbis, les Dallols, etc. Cela correspond à une superficie d’environ 11 millions d’hectares dont seulement 161 236 hectares ont été exploités en 2018.

Les ressources en eau renouvelables totales s’élèvent à 34,5 milliards m3/an. Toutefois, cette eau provient surtout de l’extérieur (indice de dépendance de 89,6%) et une grande partie (32,4 milliards m3/an) quitte le pays en direction du Nigeria. A ce potentiel, s’ajoute l’énorme réserve d’environ 2 000 milliards de m3 d’eau souterraine non renouvelable, très peu exploitée.

De tout ce potentiel, on estime que seulement 1% des eaux d’écoulement, 15% des eaux souterraines et moins de 30% des terres irrigables ont été utilisés en 2015.

Depuis la première phase de mise en œuvre de l’initiative 3N, des mesures ont été prise pour renforcer la maîtrise de l’eau pour les productions agropastorales, notamment les réformes au sein de l’Office National des Aménagements Hydro Agricoles, la mise en place du Fonds d’Investissement pour la Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle (FISAN), la Stratégie Nationale de petite Irrigation et le Plan de Renforcement des Compétences des Acteurs de la Petite Irrigation.

Vers une agriculture créatrice de richesse

La part des productions irriguées a augmenté de 29,25% par an entre 2011-2015. Malgré cette augmentation sensible, ces résultats n’ont pas beaucoup impacté sur la situation de la sécurité alimentaire et nutritionnelle du pays. Ce bilan a permis de dégager cinq axes stratégiques dont le premier est la maîtrise de l’eau, compte tenu du potentiel national en termes de terres irrigables. Pour cela en avril 2015, le Ministère de l’Agriculture et de l’Élevage a élaboré la « Stratégie de la Petite Irrigation au Niger » (SPIN) dont l’objectif est de doter le pays d’un cadre d’orientation en matière de petite irrigation en tant que vecteur important pour la sécurité alimentaire et l’adaptation de l’agriculture nigérienne aux changements climatiques.

Cette stratégie cadre parfaitement avec les orientations du Président de la République à travers la mise en œuvre de l’Initiative 3N, dont l’objectif est de contribuer à mettre les populations nigériennes à l’abri de la faim et leur garantir les conditions d’une pleine participation à la production nationale et à l’amélioration de leurs revenus.

Mais depuis son adoption, la SPIN a-t’elle permis d’atteindre les résultats escomptés en particulier le développement des productions irriguées ; le renforcement des capacités économiques des populations rurales ; la réduction de la vulnérabilité à l’insécurité alimentaire des plus fragiles ?

La maîtrise de l’eau, un pilier pour la sécurité alimentaire au Niger

Pour faire du sous-secteur de la petite irrigation un levier de croissance économique, l’Etat a réalisé d’importants investissements au bénéfice des producteurs. Cela a eu comme conséquence une augmentation accrue de la part des cultures irriguées au bilan céréalier national. En 2018, la contribution des cultures irriguées est de 633 605 tonnes d’équivalent céréalier, contre 500 000 tonnes en 2015. Cette hausse quoique faible traduit la volonté des autorités à atteindre les 1,2 millions de tonnes d’ici 2020.

Tableau : Aménager des terres pour le développement la petite irrigation

Indicateur  2016-2020 Réf. 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2016-2020
Superficie de petits périmètres aménagés (ha) 20 073 4000 6000 7000 7000 6000 30000
Nombre de forages à but agricole réalisés 1482 1000 1000 1000 1000 1000 5000
Nombre de motopompes mises à la disposition des producteurs 13179 1000 1000 1000 1000 1000 5000
Superficie de réseau californien réalisée (ha) 2000 2000 2000 2000 2000 10000
Superficie de cultures de décrue aménagée (ha) 50000 30800 31600 32400 32300 40900 168000

Source : Initiative 3N

Il est vrai qu’au cours de la période 2011-2015, les superficies irriguées ont augmentés de 47% pour atteindre 125 000 ha et la contribution des cultures irriguées a été doublée (de 3,3% en 2011 à 6,6% en 2015), mais les capacités techniques des producteurs n’ont pas beaucoup augmenté.

L’un des défis est d’assurer un conseil agricole de proximité aux producteurs. En 2016, le ratio d’encadrement est de 1 conseiller pour 1000 producteurs, loin du ratio de la FAO (1 conseiller pour 200 à 350 producteurs). L’atteinte des objectifs de l’initiative 3N doit passer par le renforcement des capacités des producteurs via le conseil agricole. La mise en œuvre de la SPIN, appuyée par le Programme nigéro-allemand de la Promotion de l’Agriculture Productive (PromAP) prend en charge le renforcement des capacités des prestataires publics et privés envers les irrigants individuels.

En 2018, le PromAP a accompagné au total 49 302 producteurs et les superficies exploitées sont évaluées à 39 559 hectares. Les efforts fournis par ce programme ont également concerné plusieurs volets en particulier le renforcement et mise en réseau des prestataires de services ainsi que promotion des innovations dans le domaine de la petite irrigation. Ainsi, beaucoup de producteurs ont été appuyé dans la production maraîchère ciblant le marché de Ramadan et le maraîchage d’hivernage.

Malgré ce succès éclatant, ces résultats ne concernent qu’Agadez, Tahoua et Tillabéri, les régions d’intervention du programme. Pour l’atteinte des objectifs de l’initiative 3N, l’État devrait assurer la réplication de ces résultats dans les autres régions à travers d’autres programmes.

Contraintes au développement de la petite irrigation

Bien que développé depuis 1984 en réponse aux sécheresses récurrentes qui ont frappées le Niger, le développement de la petite irrigation a connu, jusque-là, son essor à partir de 2011 avec la mise en œuvre de l’initiative 3N. Le développement de l’irrigation s’est accéléré sur les 5 dernières années avec une augmentation moyenne annuelle de 6,3%, contre seulement 3,1% sur les 10 dernières années.

Cependant, cette irrigation se pratique toujours à l’aide des techniques traditionnelles (arrosage manuel) sur des périmètres de petite taille et à maîtrise partielle de l’eau. Très peu de producteurs disposent des moyens pour utiliser les eaux souterraines.

Les grands projets entrepris par l’État, notamment le barrage de Kandadji rencontre d’énormes difficultés dans leur réalisation. Toutefois, des projets comme celui de l’aménagement des périmètres irrigués de Konni (région de Tahoua) et de Sia Kounza (Région de Dosso) amélioreraient beaucoup les conditions de vie des producteurs. Ce grand projet d’irrigation du Millénium Challenge Account (MCA), un programme bilatéral entre l’État du Niger et le gouvernent Américain, vise à la réhabilitation et la construction 5070 hectares de périmètre irrigué à Konni (région de Tahoua) à Sia Kounza (région de Dosso). Ce programme d’une grande envergure, une fois exécuté, contribuera significativement à l’atteinte des objectifs l’I3N, à savoir la maîtrise de l’eau, la gestion durable des terres et les infrastructures de service pour les producteurs.

Financement des producteurs : Depuis près de quatre ans, et avec l’opérationnalisation du FISAN, des producteurs dans les régions du pays reçoivent du crédit sous forme de subvention en raison de 10-40-50 respectivement sous forme d’apport personnel par le producteur, subvention octroyée par un partenaire et un prêt octroyé par une banque. Selon la plupart des producteurs ayant bénéficiés des crédits, ce service est dominé par les banques. Le service a fait place à la cupidité et la création de valeur ajoutée a été remplacée par l’extorsion des richesses.

Sur le plan institutionnel, le secteur agricole est sur-administré par des structures politiques et administratives : ministères, directions générales, offices, sociétés d’État ou sociétés d’économie mixte, administrations de mission (conseils, cellules, centres, etc.,). Cette situation engendre des coûts de fonctionnement élevés et cause des conflits d’attribution, de compétences et de leadership. Cela ne favorise pas non plus la solidarité et la mise en commun pour la réussite des missions de l’État.

Perspectives pour le développement de la petite irrigation au Niger

Les tendances pour le développement de l’irrigation doivent porter sur l’amélioration des capacités techniques des producteurs (le ratio producteur/conseiller étant toujours faible), la capacité productive des terres et des eaux, l’accès au crédit aux producteurs, à travers la réalisation d’investissements de grande envergure.

A ce sujet, des grands projets structurants en cours prévoient l’accroissement de milliers d’hectares sous irrigation dans les prochaines années.

A court terme, l’initiative 3N, fédérant l’ensemble des politiques et stratégies sectorielles conduites par le gouvernement et les partenaires, prévoit l’accroissement des superficies irrigables (périmètres irrigués et terres de décrue) à 368 000 hectares à l’horizon 2020.

Le barrage de Kandadji dont la construction a été lancée le 26 mars 2019 par le Président de la République prévoit d’aménager 45 000 hectares de terres dans la vallée du fleuve Niger.

Le projet d’aménagement des périmètres irrigués du MCA qui prévoit l’aménagement de 5070 hectares et contribuera à l’encadrement de dizaine de milliers de producteurs est également d’une importance cruciale pour les producteurs.

La poursuite des activités du PromAP et de bien d’autres projets/programmes intervenant dans l’appui conseil contribuera également à l’atteinte des objectifs de l’Etat.

Quelques références citées

  • Agriculture et Développement Rural, AFTAR, 2009. Développement de l’irrigation au Niger : diagnostic et options stratégiques. Rapport 49379-NE, Revue Sectorielle de l’Irrigation.
  • Aquastat : Consulté le 2019/04/23
  • FAO. 2016. Site web AQUASTAT. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Site consulté le [2019/04/23].
  • GIZ, 2018. Revue annuelle de mise en œuvre du PromaP : Etat d’avancement du programme et niveau de mise en œuvre du plan annuel de travail 2018.
  • Initiative pour l’Irrigation au Sahel, 2017. Cadre Stratégique pour l’Eau Agricole au Sahel.
  • MA/EL, 2018. Synthèse des résultats provisoires de la campagne Agropastorale 2018.
  • Ministère du Plan, 2017. Plan de développement économique et social 2017-2021.
  • Nazoumou Y., Favreau G., Adamou M.M., Mainassara I., 2016. La petite irrigation par les eaux souterraines, une solution durable contre la pauvreté et les crises alimentaires au Niger ? Cahiers Agricultures, Cahiers Agricultures, 25, art. 15003 [10 p.]. ISSN 1166-7699.
  • Ordonnance n° 2010-09 du 1er avril 2010, portant Code de l’eau au Niger – J.O.Sp n°9 du 29 avril 2010, page 112
  • Salifou, A., 2019. Dynamismes et contraintes au développement de la petite irrigation au Niger. NigerInter, Mensuel Nigérien d’Analyse et d’Opinion, n° 21 – mai 2019.
  • Swiss Water partnership: Appui au développement de la petite irrigation au Niger, Date 2007, Consulté le 2019/04/23

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